Pour l’agriculteur ou l’horticulteur, les adventices désignent les plantes qui poussent sans y avoir été invitées dans les zones que l’humain veut dominer, comme les champs, les trottoirs ou les pots de fleurs. Pour le botaniste, les adventices désignent les plantes exotiques à un territoire ou à un milieu et qui y pousse sporadiquement. Ce dernier donne à « mauvaise herbe » la définition de l’adventice de l’agriculteur. En agriculture, on considère les adventices le plus souvent avec la connotation qu’on donne aux mauvaises herbes, nuisibles à la plante que l’on cultive. Le botaniste pourra trouver, parmi les adventices ou les mauvaises herbes, quelques plantes rares et inféodées aux cultures. Les adventices des moissons se concentrent dans les quels frêles îlots des coins biscornus des champs où le bras de traitement des machines ne parvient pas à répandre sa bile.
La mauvaise herbe, synonyme d’adventice pour ceux qui cherchent une rentabilité économique dans la nature, ne se confine pas aux parcelles agricoles, on la trouve aussi au pied de votre porte, tapie dans ces interstices auxquels l’homme ne peut rien faire. Ce n’est pas faute d’essayer, bétonnant sans modération dans le seul but parfois de ne pas la voir pousser, rivalisant de produits toxiques parce qu’on ne lui donne pas le droit d’habiter un terrain durement acheté par un humain (mais acheté à qui au fond ?). Elle revient pourtant sans cesse, inlassablement, dans tous les sens. Et elle finit toujours par gagner, toujours. La mauvaise herbe est un symbole de la résilience de la nature face à l’homme. Mais c’est bien ce qui la rend mauvaise, cette herbe, qui tue à la tache celui qui veut s’en défaire.
Les mauvaises herbes dérivent, pour certaines, d’une longue relation avec l’humain et d’une absence de relation pour d’autres. Quelques-unes des mauvaises herbes des premiers agriculteurs sont devenues des plantes cultivées, ce qui est souvent, pour une plante, le sommet de l’échelle dans la relation des hommes à celles-ci. C’est le cas du seigle mais pas du coquelicot, c’est le cas de la cameline mais pas de la moutarde noire. D’autres ont pu redescendre cette échelle, c’est le cas de l’ers, une sorte de luzerne, autrefois cultivée.
Le peintre et le badaud pourront trouver, grâce aux mauvaises herbes, par exemple dans les champs, des toiles déjà peintes de sujets roses, bleus, jaunes ou rouges. L’image est bien connue des peintres impressionnistes. Les autres êtres vivants ne sont pas en reste pour les bénéfices qu’ils peuvent avoir à côtoyer les mauvaises herbes. Elles leurs apportent le gîte et le couvert et même souvent le gîte du couvert pour les espèces prédatrices d’herbivores qui vivent dans ces herbes. Les mauvaises herbes sont aussi ce qu’il reste quand l’humain a détruit et appauvri, ce qu’il reste pour redémarrer l’enrichissement naturel des sols.
Le terme « adventice » est apparu dès la fin du 18ème siècle, on pourrait y voir une dynamique rhétorique novlanguienne d’éloigner un peu plus le sujet de sa représentation mentale. Il est plus facile et plus vide de sens de tuer une adventice qu’une mauvaise herbe, car, aussi mauvaise soit-elle, cette dernière reste une herbe, et la visualisation du mot « herbe » est inévitable. C’est particulièrement pour le citadin, écarté, en bon naïf qu’il est, de l’idée qu’une herbe puisse être mauvaise ou bonne, que le terme adventice prend sa justification.
L’étymologie du mot est particulièrement intéressante à mettre au jour : adventice dérive donc du verbe latin « advenire » signifiant « venir de l’extérieur ». On peut s’en amuser quand on considère que, dans une parcelle agricole, les seules plantes « venant de l’extérieur » sont celles que l’on cultive, les graines des adventices étant pour la plupart déjà présentes dans le sol avant la mise en culture. Mais il y a une autre manière de comprendre cette étymologie et c’est celle qui est utilisée dans l’acception courante du mot adventice où l’on sous-entend « venir de l’extérieur du contrôle humain ». C’est-à-dire que les adventices sont bien les plantes qui se présentent sans les papiers certifiant leurs origines, papiers délivrés par les humains à ce qu’il est capable de vendre. Alors, parmi ces deux interprétations du latin, pourquoi avoir choisi la seconde ? Elle montre simplement notre rapport de domination à la nature. Elle montre simplement notre satisfaction à détruire ce qu’on ne contrôle pas. Les parallèles sont nombreux…
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